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Engrais, nutriments, et fertilité des sols

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transfère »

Les besoins des plantes

Comme tous les êtres vivants, les plantes sont constituées de matière dite « organique »[1]. Quatre atomes (éléments chimiques) forment l’essentiel de cette matière organique : le carbone (C), l’hydrogène (H), l’oxygène (O) et l’azote (N). On retrouve également en plus petites quantités le phosphore (P) et le soufre (S). D’autres éléments comme le potassium (K) ou le calcium (Ca) ne sont pas intégrés dans les molécules organiques mais sont importants, sous forme ionique, pour l’équilibre et le bon fonctionnement des milieux intra et extracellulaires. Enfin, certains éléments métalliques comme le magnésium (Mg) ou le fer (Fe) sont indispensables à la synthèse ou à l’activité de plusieurs pigments, enzymes et autres molécules. Tous ces éléments à partir desquels les êtres vivants assurent leur nutrition sont appelés des nutriments.

Composition d’une plante en éléments chimiques (pourcentages de la masse sèche totale). Il s’agit ici d’une composition indicative qui peut varier selon les tissus et les espèces considérés. Chiffres issus de Stout (1961)[2].

Championnes de l’autonomie, les plantes sont capables de récupérer tous leurs nutriments sous forme minérale (non liés à d’autres atomes de carbone) et de fabriquer elles-mêmes leur propre matière organique. Ce type de nutrition s’appelle l’autotrophie, il est spécifique aux végétaux et à certains microorganismes. Par opposition, les organismes hétérotrophes (comme les animaux) ne sont pas autonomes et se nourrissent de matière organique déjà formée. Une étape essentielle de l’autotrophie des plantes est la photosynthèse, réaction chimique au cours de laquelle elles utilisent l’énergie du soleil pour synthétiser des sucres à partir de dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique et d’eau (H2O) prélevée dans le sol. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’essentiel de la masse (sèche) des plantes provient donc du CO2 qu’elles ont absorbé. De la pâquerette au séquoia, toutes sont de l’air, solidifié par l’énergie solaire.

Équation bilan de la photosynthèse

La photosynthèse permet aux plantes d’assimiler les trois principaux nutriments : carbone, oxygène et hydrogène. Tous les autres, elles les prélèvent dans le sol sous forme d’ions dissous, ce sont les sels minéraux[3].

Nutriments et fertilité d’un sol

Un sol est d’autant plus fertile[4] qu’il possède des nutriments en quantités suffisantes et sous des formes minérales assimilables par les plantes. Lorsqu’elles poussent, ces dernières prélèvent les nutriments dont elles ont besoin dans le sol et par conséquent l’appauvrissent. Inversement, lorsque les plantes meurent, la matière organique subit un processus de décomposition et de minéralisation permettant aux nutriments de retourner au sol et d’être à nouveau disponibles. Il s’agit donc d’un processus cyclique de recyclage des nutriments.

Ce cycle est toutefois ouvert et un sol peut gagner ou perdre des nutriments, permettant à plus ou moins de plantes de s’y installer. Par exemple, les eaux de pluie peuvent s’infiltrer dans le sol et emporter avec elles certains nutriments vers les nappes et les cours d’eau, on appelle ça le lessivage (ou drainage)[5]. Certains sols y sont plus sensibles que d’autres[6]. Inversement, l’altération des particules de roches du sol[7] – on parle aussi de solubilisation – libère des nutriments : la calcite donne du calcium, les apatites du phosphore, les minéraux silicatés du potassium, du sodium, du calcium, du fer, du magnésium… C’est un processus très lent comparé au rythme de croissance des végétaux. Il dépend des conditions climatiques, de l’activité des organismes du sol et de la nature de la roche mère : les terrains calcaires sont généralement pauvres en fer et en magnésium, les terrains alluviaux riches en de nombreux nutriments, etc.

Pour l’azote, très peu présent dans les roches, il existe un mécanisme spécifique. Cet élément est en fait abondant dans l’atmosphère sous forme de diazote (N2, 78 % de l’air que l’on respire) et certaines bactéries sont capables de transformer ce gaz en ammoniac (NH3) puis d’incorporer cet azote dans leurs molécules organiques. On appelle ce mécanisme « fixation biologique de l’azote » ou diazotrophie. Les bactéries fixatrices d’azote le font soit de manière autonome dans le sol, soit en association avec les plantes de la famille des légumineuses (Fabacées[8]) au sein d’organes symbiotiques spécialisés. Cette fixation microbienne de l’azote atmosphérique est fondamentale étant donnée l’importance de l’azote dans la constitution des êtres vivants[9].

Flux des nutriments dans un écosystème terrestre. Les principaux flux (flèches blanches) forment un cycle central lié à la formation et à la dégradation de la matière organique. Il existe en parallèle d’autres moyens d’augmenter ou de diminuer le niveau global de nutriments présents dans l’écosystème (flèches noires). L’importance de ces différents flux peut varier dans le temps et selon de nombreux paramètres. Les imports et les exports de matière organique ne sont pas représentés mais peuvent avoir un rôle majeur dans certains écosystèmes (en particulier les agrosystèmes). N: diazote atmosphérique ; P : phosphore ; K : potassium.

Agriculture et export des nutriments

Prenons maintenant le cas particulier d’une parcelle agricole, par exemple un champ de blé d’un hectare. Lors de sa croissance, le blé prélève des nutriments dans le sol et les utilise pour construire ses différents organes : grains, feuilles, chaume, racines. Lorsqu’on récolte les grains de blé, on exporte les nutriments qui s’y étaient accumulés. Pour un rendement de 5 tonnes à l’hectare, et un grain contenant 2,5 % d’azote, 0,33 % de phosphore et 0,51 % de potassium[10],[11] cela correspond à un export total de 125 kg d’azote, 17 kg de phosphore et 26 kg de potassium. Or ces grains de blé sont consommés ailleurs que sur la parcelle, il n’y a donc pas de recyclage et les nutriments sont perdus pour l’agrosystème. On voit donc que, sans nouvel apport de nutriments au champ, le sol s’épuise et l’activité agricole est rapidement compromise. Renouveler la fertilité des sols cultivés est un point incontournable, quelque soit le système agricole en place.

Comparaison des flux de nutriments dans un écosystème « classique » ou cultivé (agrosystème). Dans le premier cas, le flux est principalement circulaire et lié à la formation et à la dégradation de la matière organique. Dans l’agrosystème, les nutriments sont régulièrement exportés sous forme de nourriture. Pour que l’activité agricole perdure, les pertes doivent être compensées par l’apport de nouveaux nutriments (ici sous forme d’engrais).

Différentes méthodes de renouvellement de la fertilité ont été utilisées au cours de l’histoire (et le sont encore)[12] : laisser l’écosystème se reconstituer pendant un temps suffisamment long (systèmes sur abattis-brûlis), profiter des apports des crues dans les zones régulièrement inondées, cultiver des légumineuses permettant de fixer l’azote atmosphérique… Mais la technique qui a connu le plus de succès est l’utilisation d’engrais.

Différents types d’engrais : organiques et minéraux

On utilise ici le mot engrais pour toute matière extérieure apportée au sol en vue de fournir aux plantes des nutriments[13]. Cette matière peut être sous forme organique (voir en début d’article), autrement dit dériver d’êtres vivants. Il s’agit par exemple d’excréments animaux mélangés (fumier) ou non (lisier, guano) à des matières végétales (paille, feuilles), de sous-produits animaux issus d’abattoirs (farine de sang, de plumes, poudre d’os ou de corne…), de sous-produits de l’agroindustrie (vinasse de betterave, mélasse), de matières issues de méthaniseurs (digestat) ou de stations d’épuration (boues), de matières végétales (déchets alimentaires, déchets verts, sciure et copeaux de bois, algues…). Les engrais organiques contiennent – mais en des proportions très variables – l’ensemble des nutriments nécessaires à la croissance des plantes, cependant, ceux-ci ne sont pas immédiatement disponibles. La matière organique doit d’abord subir une étape de minéralisation pour que les nutriments soient libérés sous forme de sels minéraux et puissent être assimilés par les plantes. Cette minéralisation se fait naturellement lorsque la matière organique est consommée par les organismes du sol[14] (bactéries, champignons, vers de terre, animaux microscopiques…). Elle est plus ou moins longue selon le type d’engrais, l’activité biologique des sols et les conditions climatiques locales.

Trois exemples d’engrais organiques : du fumier de cheval (gauche), un compost de débris végétaux (milieu), de la farine de corne et de sang (droite). Crédits photos Wikimédia Commons et Naturen ®.

Notons qu’on rencontre parfois le terme « engrais vert » pour qualifier certaines cultures destinées non pas à la récolte mais à l’amélioration des caractéristiques du sol : aération, taux de matière organique, couverture des adventices… Parmi ces cultures, seules les légumineuses vont réellement permettre d’introduire davantage de nutriments dans la parcelle : l’azote fixé par leurs bactéries symbiotiques. Nous ne les considérons toutefois pas ici comme un engrais au sens où nous l’avons défini, car l’azote est fixé directement au sein de la parcelle et ne provient pas d’un apport de matière extérieure. Une culture de légumineuse qui sera fauchée et répandue sur une autre parcelle pour en augmenter le niveau d’azote sera en revanche bien une forme d’engrais organique pour cette parcelle.

À l’inverse des engrais organiques, on peut apporter des nutriments se trouvant déjà sous forme minérale. On parle alors d’engrais minéraux. Ceux-ci ont l’avantage d’être plus concentrés et directement assimilables par les plantes. Ils sont en revanche efficaces seulement sur un temps court car les sels minéraux ainsi apportés sont facilement lessivables. Les engrais minéraux modernes sont souvent des mélanges des trois nutriments les plus importants (car plus souvent limités dans les sols) : azote, phosphore et potassium (engrais « NPK »)[15]. L’utilisation de ces engrais a fortement augmenté à partir de la seconde moitié du XXe siècle, au cours de la révolution verte, et ils ont été une cause majeure de l’explosion des rendements de cette période.

Un exemple d’engrais minéral : la potasse d’Alsace. Publicité de 1910.

Comment est assuré le renouvellement de la fertilité en France aujourd’hui ?

Commençons par l’azote, premier nutriment en terme de quantités nécessaires.

Avant la révolution verte, l’essentiel des apports en azote se faisait grâce aux bactéries symbiotiques des légumineuses des cultures ou des prairies (fixation biologique) et aux dépôts atmosphériques naturels. En 2013, ce mode de fertilisation ne représente plus qu’un peu moins de 20 % de la fertilisation azotée globale du système agricole français[16]. La part des engrais minéraux s’élève quant à elle à 75 % et correspond à l’apport de 2 millions de tonnes d’azote, soit l’équivalent de la production azotée de 8 millions d’hectares – 30 % de la surface agricole française – de cultures de légumineuses[17]. Notons au passage que cette fertilisation azotée est peu efficace puisque la moitié seulement des nutriments est récupérée sous forme de nourriture, le reste étant lessivé ou dénitrifié[18]. La fertilisation azotée, quelque soit son origine, est par ailleurs la principale source d’émission de gaz à effet de serre de l’agriculture avec le méthane produit par les ruminants[19],[20].

Origines de l’azote (N) dans le système agricole français entre 1882 et 2013. La fixation biologique domine jusqu’à la révolution verte et l’essor des engrais minéraux. Les dépôts atmosphériques sont minoritaires, de même que l’azote importé dans les aliments pour animaux d’élevage et épandu ensuite via leurs déjections. En 2013, la production nette d’azote (exportée sous forme de nourriture) est deux fois plus faible que les apports. La moitié de la fertilisation azotée est donc perdue par lessivage et dénitrification. Figure reprise et traduite de Harchaoui et Chatzimpiros (2018)[21].

Les engrais azotés minéraux proviennent d’un procédé de synthèse artificielle appelé Haber-Bosch. L’industrie chimique transforme le diazote atmosphérique en formes d’azote utilisables par les plantes tout comme le font les bactéries fixatrices d’azote. Si la source d’azote est en pratique illimitée, cette réaction demande en revanche de grandes quantités d’énergie. Celle-ci est principalement fournie par la combustion du gaz naturel, une énergie fossile soumise aux mêmes problématiques d’épuisement que le pétrole. En France, on utilise à peu près autant d’énergie pour synthétiser les engrais azotés que pour faire rouler l’ensemble des tracteurs.

On constate que les engrais organiques n’apparaissent pas dans la figure ci-dessus. Autrement dit, du point de vue du système agricole dans son ensemble, ils ne sont pas considérés comme une source d’azote. Les engrais organiques permettent en réalité de transférer des nutriments entre les éléments du système agricole mais pas d’augmenter leur niveau global. Par exemple, les atomes d’azote que l’on trouve dans les déjections animales n’ont pas été formés par les animaux eux-mêmes – cela est rigoureusement interdit par les lois de la chimie. Ils ont été prélevés dans les plantes ingérées par ces animaux, qui elles-mêmes les ont prélevés dans le sol dans lequel elles ont poussé – ou reçus de leurs bactéries symbiotiques pour les légumineuses. Contrairement à ce que l’on entend parfois, l’élevage ne permet donc pas de créer des nutriments mais bien de transférer la fertilité d’une parcelle à une autre via les déjections.

Pour ce qui est à présent du phosphore et du potassium, il n’existe pas – contrairement à l’azote – de mécanisme biologique permettant d’en apporter facilement dans un sol. Seule l’altération de la roche mère permet de renouveler le stock de ces nutriments, mais elle est bien trop lente pour compenser les exports de l’agriculture moderne. Ces nutriments proviennent quasiment exclusivement d’engrais minéraux issus de l’exploitation minière de roches particulièrement riches en ces éléments. Les gisements de roches phosphatées se sont formés par la lente accumulation et sédimentation de débris organiques riches en phosphore et les gisements de potasse par l’évaporation d’anciennes étendues d’eau. Ces processus ont duré plusieurs dizaines de millions d’années, il s’agit donc de ressources non renouvelables à l’échelle du temps humain. Le phosphore est en particulier un élément critique dont l’approvisionnement fait face à des contraintes géologiques, énergétiques et géopolitiques croissantes[22].

Vues aériennes de la mine de phosphates de Boukraa (Sahara occidental). La vue d’en haut est un zoom correspondant au carré noir de l’image en bas à droite. Cette région désertique au statut juridique débattu recèle parmi les plus grandes réserves de phosphore au monde[23]. Crédits : Two Maps One Scale.

Notons qu’on rencontre souvent les appellations « engrais chimiques » ou « engrais de synthèse » pour qualifier les engrais minéraux de manière indifférenciée. Si ces termes sont adaptés aux engrais azotés issus du procédé Haber-Bosch, ils peuvent être trompeurs pour les engrais minéraux phosphatés ou potassiques qui dérivent d’une activité essentiellement minière (même si certaines réactions chimiques interviennent dans le processus d’isolement des éléments d’intérêt).

 

Origine et devenir des nutriments dans le système alimentaire

Que ce soit l’azote, le phosphore ou le potassium, le système agricole industrialisé compense l’export des nutriments principalement par l’utilisation d’engrais minéraux. Les engrais organiques ne sont que des formes intermédiaires pour lesquelles on retrouve la plupart du temps en amont la réaction de Haber-Bosch ou une mine de phosphates.

Cette dépendance aux engrais minéraux concerne aussi d’une certaine manière l’agriculture biologique (AB) ou d’autres formes d’agriculture reposant sur les engrais organiques. On retrouve notamment parmi les engrais utilisables en AB[24], les déjections animales ne provenant pas d’élevages industriels[25], les sous-produits d’abattoirs ou de différentes usines agroalimentaires. Ces engrais organiques dérivent essentiellement d’exploitations conventionnelles et donc majoritairement d’engrais minéraux. Lorsque la fertilisation est assurée par l’introduction de cultures fixatrices d’azote dans les rotations, cela ne concerne que l’azote, et, en absence de complément, le bilan est déficitaire pour le phosphore et le potassium[26]. Si certains sols en AB possèdent encore des réserves de phosphore et de potassium importantes suite à l’utilisation massive d’engrais minéraux avant leur conversion, tout export s’il n’est pas compensé, posera problème à terme. Notons qu’une partie du renouvellement en phosphore et potassium en AB se fait par l’utilisation d’engrais minéraux autorisés par le cahier des charges[27] (poudre de roches phosphatées brutes, sels bruts de potasse) ou par l’introduction de compléments minéraux dans la ration des animaux d’élevage dont les déjections sont ensuite épandues sur les cultures.

À ce stade, peut-être vous demandez-vous pourquoi ne pas simplement renvoyer dans les champs les nutriments que l’on y a prélevés ? Il est temps de s’intéresser à la gestion en aval de ces derniers afin de compléter notre analyse des flux de nutriments au sein de notre système alimentaire.

Une fois adulte et passée notre période de croissance, les nutriments de la nourriture que nous mangeons ne s’accumulent pas dans nos corps. Chaque jour, nous évacuons autant de nutriments que ce que nous ingérons : c’est l’excrétion. L’essentiel de notre excrétion repose sur l’expiration (dioxyde de carbone et vapeur d’eau), la miction urinaire (eau liquide, urée et divers nutriments sous formes minérales ou organiques), et la défécation[28]. Les nutriments apportés au système alimentaire par les engrais minéraux se retrouvent au final principalement dans nos urines avec en moyenne 85 % de l’azote, 60 % du phosphore et 75 % du potassium[29].

Voies d’excrétion du carbone, de l’azote, du phosphore et du potassium ingérés par un être humain. Les pourcentages sont des valeurs indicatives issues de Esculier (2018)[30].

Aujourd’hui, en France, plus de 99% des foyers évacuent leurs urines et matières fécales par une toilette à chasse d’eau. Mélangées aux autres eaux ménagères (cuisine, salle de bains, etc.), elles forment ce qu’on appelle des « eaux usées ».

Dans les zones non desservies par un égout (15-20 % de la population française[31]), ces eaux usées sont usuellement liquéfiées et décantées dans une fosse toutes eaux[32] puis envoyées dans le sol par un drain. Les recommandations officielles invitent à limiter les plantations au-dessus des drains[33]. Le sol est donc fortement enrichi en nutriments à cet endroit mais ils risquent d’être peu mobilisés par des plantes et une partie va s’infiltrer vers la nappe phréatique et constituer une pollution.

Dans les zones desservies par un égout, les eaux usées doivent être traitées par une station d’épuration avant leur rejet au milieu naturel, le plus souvent une rivière. Jusqu’à récemment, ces stations avaient pour objectif de traiter le carbone des eaux usées. Ce traitement produit des boues, extraites de la station d’épuration, qui retiennent une partie des éléments présents dans les eaux usées. Mais la majorité des nutriments azote, phosphore et potassium étaient rejetés en rivière et très peu captés dans les boues. C’est toujours le cas pour de nombreuses agglomérations inférieures à 10 000 habitants. Cependant, dans une grande partie de la France, un traitement de l’azote et/ou du phosphore est désormais requis pour les agglomérations de plus de 10 000 habitants[34].

Quant l’azote est traité, la réglementation prévoit qu’environ 70 % doit être retiré de l’eau. Il est majoritairement enlevé grâce à l’action de bactéries dénitrifiantes qui produisent du diazote (N2) à partir de nitrate (NO3). Le bilan de ce traitement est exactement l’inverse du procédé de synthèse Haber-Bosch et cette étape conduit par ailleurs à l’émission d’une quantité non négligeable de gaz à effet de serre[35]. La dénitrification permet d’enlever environ 50 % de l’azote, 10 % est capté dans les boues, et le reste est rejeté en aval[36].

Quand le phosphore est traité, il est usuellement précipité chimiquement et se retrouve donc dans les boues résiduelles avec un taux de récupération estimé à 80 % environ[37] (conformément à la réglementation). En revanche, aucune réglementation n’encadre la gestion du potassium : il est très peu capté dans les boues et l’essentiel est rejeté en rivière[38].

En France, entre 60 % et 70 % des boues de stations d’épuration sont ensuite utilisées comme engrais organique pour l’agriculture, le reste est incinéré et mis en décharge[39]. Par exemple, sur l’agglomération parisienne, le taux de recyclage agricole des nutriments des eaux usées, provenant majoritairement des urines et matières fécales humaines, est estimé à 4 % pour l’azote, 41 % pour le phosphore et 2 % pour le potassium[40]. Le taux de rejet des nutriments en rivière est estimé quant à lui à 38 % pour l’azote, 18 % pour le phosphore et 96 % pour le potassium[41].

Une partie notable des nutriments échappe donc aux stations d’épuration et rejoint les cours d’eau en aval. Il en va de même pour les surplus de nutriments apportés aux sols agricoles par les engrais et lessivés par les pluies. Cet apport important de nutriments azotés et phosphorés dans les écosystèmes aquatiques (eutrophisation) entraîne le développement intensif de certaines espèces végétales et bactériennes au détriment des autres espèces. La dégradation difficile de la biomasse ainsi formée peut provoquer, dans les cas les plus graves, l’appauvrissement du milieu en oxygène et la mort de nombreux organismes.

Un exemple emblématique d’eutrophisation : la prolifération d’algues vertes (Ulva armoricana) sur une côte bretonne (commune de Santec) en août 2009. Crédits photo Thesupermat – Wikimedia Commons.

Conclusion

Toute activité agricole appauvrit les sols en exportant les nutriments qui s’y trouvent sous forme de nourriture pour les êtres humains. Renouveler la fertilité des sols est donc indispensable pour assurer la sécurité alimentaire sur le long terme. Aujourd’hui, notre système alimentaire se caractérise par une gestion linéaire des nutriments. Ceux-ci sont majoritairement apportés aux cultures sous formes d’engrais minéraux, sont éventuellement transférés entre différentes productions par l’intermédiaire des engrais organiques, puis une fois excrétés par nos corps, sont traités en tant que polluants à éliminer. Cette organisation dépend par ailleurs de ressources énergétiques et minérales limitées et a des impacts écologiques conséquents (émissions de gaz à effet de serre, dégradation des écosystèmes et de la qualité des eaux). Une voie de résilience évidente consiste donc à essayer de reboucler les cycles des nutriments, comme dans la plupart des écosystèmes : que nos déchets redeviennent ressources[42].

Notes et références

  1. D’un point de vue plus « chimique », la matière organique rassemble les molécules organisées autour d’un squelette carboné (des atomes de carbone liés les uns aux autres).
  2. Stout PR. 1961. Proceedings of the Ninth Annual California Fertilizer Conference: 21-23. Chiffres repris dans l’ouvrage de référence Raven PH, Evert RF, Eichhorn SE. 2014. Biologie végétale. 3e édition, traduction de la 8e édition américaine par Jules Bouharmont.
  3. La majorité des plantes bénéficient pour cela de l’aide précieuse de certains champignons – dits mycorhiziens – avec lesquels elles sont en symbiose.
  4. Il existe d’autres paramètres que la richesse en nutriments qui jouent sur la fertilité d’un sol comme sa texture, sa profondeur, sa richesse en matière organique, sa salinité ou encore l’activité biologique qu’il héberge.
  5. Dans un contexte aride, le phénomène inverse peut se produire : les eaux profondes remontent vers la surface par capillarité et évapotranspiration des plantes. Elles entraînent avec elles les sels minéraux dissous. Cela peut provoquer dans certains cas des problèmes de salinisation des sols, les rendant impropres à l’agriculture.
  6. Cela dépend notamment de la richesse du sol en argiles et en matière organique, l’association des deux formant des complexes argilo-humiques chargés négativement et capables de retenir de nombreux ions.
  7. Cette altération est favorisée par les racines des plantes et les microorganismes du sol.
  8. Plusieurs plantes d’autres familles présentent des symbioses fixatrices d’azote similaires.
  9. Des formes d’azote assimilables par les plantes peuvent aussi être synthétisées lors des orages et apportées par les pluies, cette contribution reste faible par rapport à la fixation bactérienne.
  10. Peterson CJ, Johnson VA, Mattern PJ. 1986. Influence of cultivar and environment on mineral and protein concentrations of wheat flour, bran, and grain. Cereal Chemistry 63: 183-186. Un ratio de 0,17 g d’azote par gramme de protéine a été utilisé pour la conversion.
  11. Ces valeurs dépendent beaucoup des variétés cultivées et des paramètres pédo-climatiques locaux.
  12. Voir notamment Mazoyer M, Roudart L. 2002. Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine. Points histoire, éditions du Seuil (seconde édition).
  13. On rencontre également les termes « fertilisants » ou « amendements » qui peuvent, selon les définitions, être plus ou moins équivalents au mot « engrais ».
  14. Aussi nommés « décomposeurs », même si tout être vivant pratique une forme de décomposition, c’est-à-dire minéralise de la matière organique pour vivre.
  15. Il existe bien entendu des engrais minéraux pour les autres nutriments : magnésium, calcium, soufre, fer, bore, zinc…
  16. Harchaoui S, Chatzimpiros P. 2018. Energy, Nitrogen, and Farm Surplus Transitions in Agriculture from Historical Data Modeling. France, 1882–2013. Journal of Industrial Ecology. doi:10.1111/jiec.12760
  17. Harchaoui S, Chatzimpiros P. 2018. op. cit.
  18. ibid.
  19. Ces émissions se font sous forme de protoxyde d’azote (N2O), un gaz à effet de serre 265 fois plus puissant que le CO2. Ce gaz est produit par certaines bactéries du sol lors de la conversion des nitrates en diazote (dénitrification).
  20. Barbier C., et al. 2019. L’empreinte énergétique et carbone de l’alimentation en France. Club Ingénierie Prospective Énergie et Environnement, Paris, IDDRI, 24 pp.
  21. Harchaoui S, Chatzimpiros P. 2018. op. cit.
  22. Chowdhury RB, Moore GA, Weatherley AJ, Arora M. 2017. Key sustainability challenges for the global phosphorus resource, their implications for global food security, and options for mitigation. Journal of Cleaner Production 140: 945-963
  23. Chowdhury RB, et al. 2017. op. cit.
  24. ITAB. 2014. Rappels réglementaires sur l’utilisation des engrais et amendements organiques en AB.
  25. La définition « d’élevage industriel » est cependant peu précise, il s’agit dans les faits d’élevages hors-sol (poulets en batteries, porcs sur caillebotis) ou d’exploitations ne disposant d’aucune superficie destinée aux productions végétales.
  26. Möller K, et al. 2018. Improved phosphorus recycling in organic farming: navigating between constraints. Advances in Agronomy 147: 159-237.
  27. ITAB. 2014. op. cit.
  28. En réalité, seule la bilirubine, une molécule issue de la dégradation des hémoglobines, est véritablement excrétée avec les matières fécales. L’essentiel étant le résidu digéré mais non assimilé de nos repas et une partie du microbiote intestinal.
  29. Esculier F. 2018. Le système alimentation/excrétion des territoires urbains : régimes et transitions socio-écologiques. Thèse de doctorat de l’université Paris-Est.
  30. ibid.
  31. IRSTEA. 2017. Assainissement non collectif. Le suivi in situ des installations de 2011 à 2016.
  32. On appelle fosse septique une fosse qui ne reçoit que les eaux de toilettes et fosse toutes eaux une fosse qui reçoit toutes les eaux de la maison.
  33. Ministère de l’Environnement de l’Énergie et de la Mer. 2016. Assainissement non collectif. Règles et bonnes pratiques à l’intention des installateurs.
  34. Une carte de France des zones sensibles pour lesquelles un traitement des eaux est obligatoire se trouve ici.
  35. Les bactéries dénitrifiantes sont hétérotrophes et ont besoin d’une source de carbone réduit pour se développer. On ajoute pour ce faire dans les bassins du méthanol, synthétisé majoritairement à partir de méthane fossile, dont la consommation produit donc un surplus de CO2 atmosphérique. Du protoxyde d’azote (N2O) est lui aussi produit par les bactéries lors de cette étape de dénitrification, ce qui aggrave les émissions de gaz à effet de serre liées au traitement des eaux.
  36. Esculier F. 2018. op. cit.
  37. ibid.
  38. ibid.
  39. ibid.
  40. Esculier F, et al. 2018. The biogeochemical imprint of human metabolism in Paris Megacity: a regionalized analysis of a water-agro-food system. Journal of Hydrology. In press.
  41. ibid.
  42. Plusieurs organisations travaillent à cela en France, citons notamment le Réseau de l’Assainissement Écologique et l’équipe de recherche OCAPI, partenaire des Greniers d’Abondance sur le projet ORSAT.

24 commentaires sur “Engrais, nutriments, et fertilité des sols”

  1. Bonjour,

    merci pour cet article avec plein de sources que je vais pouvoir explorer.
    Avec le titre « fertilité des sols » je m’attendais à un gros chapitre sur l’évolution des substances humiques ou humus dans le sol avec les taux de carbone organiques. Est-ce un oubli volontaire ? Avez-vous des données dans ce domaine ? Je suis preneur de sources fiables sur l’évolution des taux de matière organique en France. Je vous en remercie.

    Cordialement,

    Arthur de Lassus

    1. Bonjour Arthur,

      L’article étant déjà bien long nous nous sommes volontairement limités dans les détails agronomiques liés à la fertilité des sols pour nous concentrer sur l’aspect engrais et nutriments, ceci afin de rendre notamment compte des liens de dépendance avec les autres éléments du système alimentaire (activités industrielles en amont, gestion des nos excrétions…).

      Nous pouvons, en plus des ouvrages académiques « classiques » en agronomie / pédologie, vous conseiller les ressources suivantes pour les questions de matière organique des sols :
      – le Gis Sol (notamment une carte des stocks actuels de carbone organique)
      l’Observatoire Français des Sols Vivants

      1. Bonjour
        Peux t’on imaginer une société de 7 milliards d’individus avec une agriculture bio, sans alimentation carnée ?
        Dans ce cas comment règle t on la problématique des intrants d’original animale ?
        Les excréments humains et les intrants d’origine végétal et minéral peuvent ils suffirent ?
        Merci

        1. Bonjour Guy,

          Je vais tacher de donner quelques éléments de réponse. Les ruminants sont (entre autres fonctions) un moyen de transférer des nutriments d’une parcelle (le pré) à une autre (la culture). Ils ne créent pas eux-mêmes de « nouveaux » nutriments. Une bonne partie des nutriments n’est d’ailleurs pas transférée et reste au pré avec l’urine et les bouses produites sur place. Faucher un pré et méthaniser / composter / brûler l’herbe puis épandre le digestat / compost / cendres dans une culture revient à peu près au même du point de vue des nutriments (il faudrait regarder les pertes provoquées par ces autres méthodes pour comparer finement). On parle bien uniquement du point de vue des nutriments, il y a bien sûr plein d’autres choses à considérer pour choisir une méthode de renouvellement de la fertilité adaptée au contexte.

          Mais tout ça ne répond pas vraiment selon moi au problème de fond. Nous, les humains, restons les principaux destinataires des nutriments exportés des cultures. Tous ces nutriments finissent dans nos urines et matières fécales. Donc avant même de vouloir compenser les exports au niveau des cultures par un transfert depuis d’autres écosystèmes (un pré, une forêt, une côte marine…), il me semble plus logique de chercher à boucler la boucle. Les fumiers / composts / guano / et autres biodéchets venant idéalement compenser les seules pertes qui surviendraient inévitablement au cours de la chaîne de retour des nutriments.

          Ces considérations techniques sur les nutriments ne sont évidemment pas les seules à prendre en compte par rapport à votre première question. Y répondre dans le détail nécessiterait bien plus de temps et devrait laisser place à la confrontation des idées car il y a derrière des choix de société qui n’ont pas de réponse toute faite 😉

          1. Nos ruminants domestiques permettent aussi de valoriser de vastes espaces impropres à la culture de céréales, et encore moins à celle de légumes, cultures exigeantes en terme de sols et de climat. Ils sont capables d’exploiter ( :-O exploiter !)garrigues, sous-bois, alpages d’altitude, maquis, et ailleurs, steppes, brousse, toundra,…
            L’avantage de leur système digestif complexe, c’est qu’il est capable de transformer de la cellulose grossière en lipides et glucides (et, accessoirement, fer assimilable et vitamine B1), ce que nous, humains omnivores, ne pouvons pas faire. Avec un rendement médiocre = 85% de ce qu’ils ingèrent retourne au sol. Sous forme d’un caca enrichi de bactéries, qui fait le bonheur de tout un écosystème de coprophages : diptères et coléoptères en particulier, puis, vers ronds, etc…. Bien plus rapide et efficace que la meilleure compostière actuelle !
            https://planet-vie.ens.fr/thematiques/animaux/systeme-digestif/la-digestion-ruminale-des-aliments
            Ce type d’élevage existe encore en France : ce sont les systèmes pastoraux, extensifs.

  2. Merci beaucoup pour cet article qui résume très clairement la notion de fertilité des sols et comment elle est gérée de façon actuelle.
    La question qui me vient est : Comment restaurer l’équilibre de la fertilité des sols ?
    => Vous avez évoqué le rebouclage du cycle des nutriments mais vu les chiffres que vous annoncez, sauf erreur de ma part, cela ne pourrait a priori pas suffire !
    – Notamment sur le phosphore et le potassium, où on aurait toujours besoin d’une part, certes plus faible, d’apport extérieur donc des mines
    – Pour l’azote on peut compléter par de l’engrais vert sans doute
    => Bref, un nouvel article sur ce cycle des nutriments qui permettrait de couvrir tout le besoin de maintien de fertilité des sols serait vraiment d’un grand intérêt

    Bravo encore pour tout ce travail et ces efforts de synthèse

    Bonne continuation

    1. Bonjour Alexandre !
      Je vais essayer d’apporter quelques éléments de réponse :

      En effet, seul un recyclage parfait du phosphore (P) et du potassium (K) excrétés dans nos urines et matières fécales permettrait de restaurer la fertilité des sols. Ce n’est évidemment pas possible, il y a toujours des « fuites » au long de la chaîne de récupération. Et même si on y arrivait, il y aura toujours des pertes par lessivage une fois ces nutriments retournés aux sols. Pour autant, d’autres phénomènes permettent de ramener des nutriments dans les sols agricoles :
      – l’altération naturelle des particules de roches présentes dans le sol -> un processus qui prend du temps et dont les nutriments libérés dépendent de la roche mère présente, je n’ai malheureusement pas de données précises sur la vitesse de libération
      – le transfert naturel de nutriments depuis un autre écosystème soit par des animaux (qui excrètent ou meurent sur les parcelles agricoles, en supposant qu’ils se soient nourris ailleurs) soit par le vent (la forêt amazonienne par exemple reçoit des nutriments du Sahara grâce aux poussières transportées par le vent) -> dans le fonctionnement des agrosystèmes français c’est a priori négligeable, les animaux auraient même plutôt tendance à participer avec nous à l’export de nutriments (pensez aux oiseaux qui viennent glaner les récoltes)
      – le transfert par les hommes ou par les animaux qu’ils élèvent de nutriments depuis un autre écosystème comme une prairie, une forêt, une côte maritime (algues et guano) vers les zones cultivées -> l’inconvénient c’est qu’on peut appauvrir les écosystèmes sources si le transfert est trop intensif
      – l’irrigation naturelle (crues) ou artificielle, car l’eau des rivières s’enrichit en nutriments à mesure qu’elle érode les continents
      – et puis les mines en effet, qui ont encore d’importantes réserves, mais dont l’exploitation sera plus coûteuse (en travail et en énergie) pour nos sociétés à mesure que la situation énergétique mondiale et la qualité des gisements se dégradent

      Ces différents mécanismes peuvent donc permettre de compenser une partie des pertes, mais recycler au mieux les nutriments exportés pour notre alimentation reste essentiel sur le long terme !

      Et oui, pour l’azote, la fixation biologique via les légumineuses est heureusement possible. Néanmoins, cela représente un coût en terme de surfaces agricoles à mobiliser. Autrement dit, maximiser le recyclage de l’azote contenu dans nos excrétats permet quand même d’augmenter la quantité de nourriture produite à l’échelle du système dans son ensemble. Un atout non négligeable au vu des difficultés à venir (changement climatique, etc…)

      1. Super, merci beaucoup Félix pour cette réponse détaillée. Le maintien de la fertilité des sols est donc compliquée à garantir au niveau global, par contre dans une zone définie c’est possible…en tout cas c’est ce que j’ai compris. Reste à être conscient du niveau d’externalité dont on est dépendant pour tenter de le restreindre au maximum. Merci encore !

  3. Bonjour,

    Concernant l’azote, vous semblez indiquer que les bactéries fixatrices d’azote des fabacées sont la principale source d’apport d’azote par les plantes. J’ai compris (cf travaux du Cirad (L Seguy), maraîchers du réseau MSV) que suite à un apport de matière organique très carbonée (BRF, paille, plantes à maturité qu’elles quelles soient) le processus naturel de transformation de cette matière augmente le taux de MO génère un apport d’azote d’autant plus importante que le C/N est élevé. Je ne trouve pas l’explication de ce processus dans l’article.

    Ludovic

    1. Bonjour Ludovic !

      Alors, ce que vous dites et exact (à une chose près) et n’est pas en contradiction avec l’article. En fait tout dépend du périmètre considéré.

      Si on prend le système agricole dans sa totalité, un apport de MO (sous forme d’engrais organique) dans une parcelle provient généralement d’un export de MO d’une autre parcelle (paille, fumier, culture intermédiaire…) : c’est un transfert entre deux éléments du système et le niveau global d’azote ne bouge donc pas. Même en compostant les biodéchets ou les excrétats d’une ville et en les retournant aux champs, il s’agit d’un simple recyclage et à nouveau, le niveau global d’azote au sein du système n’augmente pas (il diminue même parce qu’il y a des pertes). Il s’agit d’un véritable gain lorsque la MO provient de l’extérieur du système agricole (une forêt typiquement, ou une côte maritime). Mais ces derniers types de transferts sont aujourd’hui négligeables face aux engrais azotés et à la fixation biologique bactérienne.

      Par contre, si on regarde effectivement à l’échelle d’une parcelle donnée, alors on peut tout à fait augmenter considérablement le niveau d’azote en apportant n’importe quel engrais, minéral ou organique. Bien plus qu’avec la seule fixation biologique des bactéries libres ou en association avec les légumineuses. Par contre, l’apport d’azote sera d’autant plus important que le rapport C/N est faible, et non élevé. Il y a même un risque qu’un apport trop carboné provoque ce qu’on appelle une faim d’azote, car les bactéries et champignons qui décomposent ces matières se multiplient alors, en utilisant l’azote du milieu. Et ce dernier n’est plus disponible pour les plantes tant que la dégradation se poursuit !

      J’espère avoir répondu à vos questions

      1. Bonjour Félix,

        Oui, mais cela ne répond qu’en partie à mon interrogation.
        Le phénomène de fin d’azote est temporaire (qq mois à ma connaissance). Comment expliquer qu’après cette faim d’azote, le taux de MO et la libération d’azote augmente ensuite significativement. Ce que je comprends des travaux auxquels je fais référence dans mon 1er post (voir formations sur le sujet de Konrad Schreiber, François Mulet, Lucien Seguy, …), c’est que l’ensemble des organismes du sol (champignons, bactéries, … jusqu’au verre de terre) vont s’alimenter à partir ce cette MO, créer des déjections qui vont être source d’alimentation d’autres organisme. Ces organismes du sols s’alimentent des chaînes carbonées de la MO (en leur apportant l’énergie nécessaire). Ils respirent les 80% de N2 de l’air et génèrent des déjections avec un C/N qui baisse progressivement.
        Si cela fonctionne bien de cette manière, ne signifie-t-il pas que si on laisse une part importante de la MO (le plus carbonée possible) des cultures sur le champ (paille des cultures ou engrais vert (même sans légumineuse)), cela permet de générer un apport d’azote via les organismes du sol qui vont dégrader cette MO carbonée (et donc de limiter les intrants externes de quelque nature qu’ils soient).

        Bonne journée
        Ludovic

        1. Bonjour Ludovic !

          Je crois cerner l’origine de notre malentendu, et il me semble que nous sommes d’accord 🙂 J’avais mal compris votre question et je raisonnais dans ma dernière réponse sans prendre en considération la fixation bactérienne d’azote, qui est loin d’être négligeable en cas d’apport de MO !

          En fait, lors d’un apport de MO très carbonée, le sol s’enrichit en azote de deux manières. D’une part grâce à l’azote initialement contenu dans cette MO, qui sera après décomposition sous des formes disponibles (NH4+ excrété) ou intégré dans les organismes du sol. D’autre part grâce à la fixation d’azote atmosphérique par les bactéries du sol qui en sont capables (les diazotrophes) et dont la population augmente grâce à l’énergie fournie par la MO. Dans le premier cas c’est un transfert d’azote depuis l’écosystème dont il a été extrait, dans l’autre c’est un gain net d’azote.

          Bonne journée à vous !

  4. BOnjour,

    D’après les recherches que j’ai faites sur l’utilisation de l’urine dans l’agriculture, cette solution est la plus prometteuse et la moins énergivore.

    Apport Azote, potassium et phosphore.

    Elle nécessite soit un simple stockage et une dilution
    Soit un procédé qui enlève l’eau et permet le stockage en sachet pour mettre dans les distributeurs d’engrais.
    Certes ce n’est pas un apport de matière pour le sol, mais c’est une nourriture directement assimilable pour la plante :

    toutes les infos ici : http://ecosec.fr/valorisation/

  5. Bonjour et merci à vous pour l’article: Très intéressante présentation montrant bien la contrainte comptable dont on ne peut pas s’affranchir en matière de fertilisation, et qui fait que tout ce qui se trouve exporté via la récolte provient, pour les minéraux, d’un stock minéral du sol et, qui de fil en aiguille atterrit en bout de chaîne -hors les pertes- dans les excréments humains et animaux. Si l’on savait collecter tout ce beau monde au départ dispersé, puis le reconcentrer (par déshydratation ?) pour ensuite le réexpédier dans les parcelles, la boucle serait alors bouclée, permettant des rendements élevés grâce à une fertilisation de maintien pour un haut niveau d’exportations : de hauts rendements générant une production finale élevée en engrais ; il resterait le coût énergétique de toute cette logistique, mais on n’a rien sans rien en ce domaine.
    Une question : Quel pourcentage des excréments animaux se trouvent actuellement recyclés à la ferme via une fertilisation organique au champ (épandage, globalement bio ou pas bio) et ce qui n’est pas recyclé correspond-il aux bouses laissées in situ par les bovins dans les prés ? Sinon j’apprécie que vous ayez clairement expliqué que les animaux ne « fabriquent pas d’engrais » (ni les vers de terre non plus d’ailleurs) mais les font passer d’un compartiment (une prairie source) vers un autre (une culture); on lit tellement de choses fausse là dessus que c’est bon de rencontrer des écrits très limpides sur le sujet.

    1. Bonjour Pierre,

      En effet il y a la question du coût énergétique, et aussi celle de la préservation des milieux aquatiques puisqu’avec une fertilisation à l’urine il y a une grande sensibilité au lessivage si on dose mal l’apport d’azote !

      Concernant votre question, on ne peut pas y apporter de réponse unique puisque ça va énormément dépendre du type d’élevage. Pour de l’élevage hors-sol de porcs ou de volailles (la grande majorité en France), l’essentiel des déjections sont récupérées et épandues. Avec souvent des problèmes d’apports trop élevés par rapport aux surfaces disponibles (cf marées vertes). Pour de l’élevage de ruminants, la part recyclée va être proportionnelle au temps passé à l’étable (et donc du système d’élevage), le reste étant en effet laissé au pré via l’urine et les bouses. Après on a aussi beaucoup de pertes d’azote (par volatilisation de l’ammoniac) lors du stockage du fumier et là ça peut être très important ! Esculier (2018, page 340) cite une fourchette allant de 20 à 80 % de pertes d’azote entre l’excrétion et la fin du stockage du fumier.

      1. Merci pour votre réponse. Je vous informe par l’occasion que j’ai diffusé hier soir votre document sur la page publique Facebook de JM Jancovici.

  6. Bravo ! Excellent article de vulgarisation.
    Je pense toutefois que vous sous-estimez l’apport potentiel à la fertilité des sols de l’équation bilan de la photosynthèse et de la vie biologique qui en résulte. Des réalisations (agriculture de conservation/régénérative/etc.) nous montrent l’étonnante puissance de ce processus pour restaurer la fertilité des sols. Il semble que les mises à dispositions d’éléments minéraux extraits des roches-mères en présence de taux de MO élevés et surtout de la vie biologique liée mériteraient d’être mieux étudiés car les résultats obtenus défient quelques peu les bilans auxquels nous sommes habitués en agriculture. Il reste des portes à ouvrir pour comprendre le fonctionnement du système sol.

    1. Bonjour Grégoire,
      Je suis d’accord, il y a beaucoup de choses à explorer de ce côté là. Après il me semble utile de distinguer les échelles de temps. À court terme, un réseau mycélien dense et bien nourri, un cortège de bactéries et de nématodes, vont effectivement contribuer à rendre accessible aux plantes tout un tas d’éléments piégés dans les complexes argilo-humiques, dans des précipités minéraux (phosphates de calcium par ex), tout en accélérant les processus d’altération de la roche mère. À long terme, je suppose que la cinétique des réactions d’altération (et la composition chimique des roches mères) reste trop lente (ou trop pauvre en certains nutriments) pour compenser les exports. C’est pour moi tout l’intérêt de l’approche cyclique, qui m’a l’air d’être la meilleure réponse pour une gestion durable de ressources non (ou pas assez rapidement) renouvelables comme les éléments P, K, Mg, S, etc.

  7. Oui, on ne peut pas échapper à l’indispensable intérêt de boucler les cycles, je suis bien d’accord. Et en même temps l’agronome et agriculteur que je suis reste pantois devant les résultats obtenus par certain(e)s systèmes/techniques de l’agriculture régénérative. Il semble qu’un puissant système autofertile se mette en place. Ne doutant pas de Lavoisier, je me dis que je suis loin de connaitre tout ce qui se passe dans le sol.
    En tout cas merci pour vôtre excellent site que je découvre avec joie. J’ai pris mon adhésion.
    Bien cordialement

  8. Bonjour,

    Article très intéressant, merci !
    J’ai une question concernant la figure : Origines de l’azote (N) dans le système agricole français entre 1882 et 2013.

    Si l’N des engrais organiques n’y figure pas puisque simple transfert entre systèmes, d’où provient l’N contenu dans les aliments pour animaux d’élevage ?
    Ces aliments proviennent bien de cultures dont l’N vient essentiellement d’engrais minéraux… Au final n’est-ce pas également un transfert entre systèmes (même si c’est un transfert moins direct) ?

    Aurais-je mal compris cette partie du document ?

    En vous remerciant.

    1. Bonjour Tanguy,

      En effet, cela peut prêter à confusion. L’azote de ces cultures utilisées en alimentation animale provient bien des mêmes sources primaires : engrais minéraux et fixation symbiotique (avec le soja notamment). On pourrait calculer la part respective de chaque source mais cela serait probablement très laborieux puisqu’il faudrait des informations précises pour chaque pays impliqué dans le commerce de ces cultures. Après, comme on regarde ici le périmètre « France », cela permet quand même de rendre compte de cette entrée d’azote cachée de manière simple.

      En espérant avoir un peu éclairci cette histoire
      félix

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