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Scénario 2 : Atterrissage contrôlé

Illustration : Vladimir Kudinov - Unsplash

Scénario 2 : Atterrissage contrôlé

Interventionnisme écologique et exode urbain

Les Greniers d’Abondance

Creative Commons BY NC SA

L’un après l’autre, les vaccins sont neutralisés par de nouveaux variants du SARS-CoV-2, les vagues épidémiques se succèdent et la récession s’installe. Fin 2021, le taux de chômage dépasse les 20 % dans la plupart des grandes villes françaises. Tout un pan de la société –  ouvriers, employés, petits commerçants, étudiants – se trouve dans une situation de précarité inédite. L’insatisfaction grandissante fait grossir les rangs des mouvements de contestation sociale. La population urbaine ne supporte plus l’enfermement des confinements répétés dans des appartements étriqués. Le nombre de sans-abris et la demande d’aide alimentaire explosent. Les mesures de soutien aux entreprises ne parviennent pas à endiguer la progression du chômage. L’idée que « le système », non seulement n’a pas d’avenir, mais ne permet pas même de profiter de la vie présente, fait sont chemin au sein de la jeunesse de toutes les classes sociales.

Les démissions de ministres et les défections de parlementaires du groupe LREM se succèdent dans une condamnation générale de la fuite en avant libérale-sécuritaire du gouvernement. La fin de mandat est totalement obstruée. Macron dissout le parlement. Les syndicats, les militants de gauche, les Gilets Jaunes et le mouvement écologiste forment un front social massif, uni et cohérent. Le 24 avril 2022, une nouvelle majorité, portée par une coalition FI, PC, PS, EELV ayant organisé des primaires communes, arrive au pouvoir sur un programme d’interventionnisme écologique et de redistribution des richesses. Le nouvel exécutif s’implique en particulier dans la transition agroécologique et la relocalisation de l’alimentation à l’échelle des territoires. Il s’engage à inverser le déclin de la population agricole, à garantir une plus juste répartition de la valeur ajoutée dans la chaîne alimentaire, et à favoriser la diversification et la régionalisation des productions. Cette relocalisation s’accompagne d’une forte augmentation de la demande en produits biologiques par les ménages bénéficiant des mesures redistributives.

Le 16 mai 2023 est promulguée la mise en place d’un système de sécurité sociale de l’alimentation, qui garantit à chacun une « nourriture respectueuse de l’environnement, des femmes et des hommes ». Les biens alimentaires répondant à des critères de qualité nutritionnelle, d’agroécologie et de juste rémunération des producteurs font l’objet d’un conventionnement pour être pris en charge par les caisses alimentaires, et tous les acteurs de la chaîne se prémunissent ainsi de la concurrence déloyale provoquée par la guerre des prix. Des restrictions lourdes frappent les marchandises importées contribuant à la déforestation et au travail illégal. Les marchés noirs de produits alimentaires bannis se développent et s’intègrent aux réseaux mafieux. Marseille devient une plaque tournante du trafic de Nutella®, interdit par décret depuis 2022.

Les marchés financiers réagissent en réduisant leurs investissements sur le territoire français pour les rediriger vers le Royaume-Uni, où l’administration Johnson mène d’importantes politiques de dérégulation. La dette publique française passe de 120 % à 140 % du PIB en un an. La droite crie à l’incompétence et à l’irresponsabilité. La France, l’Espagne et l’Italie réclament à l’Europe une annulation de la dette publique détenue par la Banque Centrale. La demande est balayée par la voix du Conseil Européen avant même d’être instruite par le Parlement.

La sécheresse de 2024, « l’année sans pluie », bouleverse toute l’Europe. Les rendements céréaliers sont catastrophiques et les éleveurs, face à des prairies brûlées, sont contraints d’abattre une grande partie de leur cheptel. La France doit se résoudre à réduire ses exportations de blé tandis que la Russie profite de ses très bons rendements pour accroître son influence dans les pays importateurs du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Les grandes exploitations spécialisées et les élevages intensifs sont les plus gravement touchés par la sécheresse. En réponse à la crise, l’Assemblée Nationale vote un vaste plan de restructuration agricole. Des offices fonciers intercommunaux sont créés pour l’acquisition et la gestion des terres et des équipements. Des opérations massives de plantation de haies accompagnent les nouvelles divisions parcellaires et la diversification des assolements, pour limiter l’évapotranspiration par le vent et le rayonnement solaire, favoriser l’infiltration de l’eau de pluie et recréer des habitats pour les espèces auxiliaires. La recherche publique et les instituts techniques sont dotés d’importants moyens pour permettre le perfectionnement et la généralisation des pratiques agroécologiques, et développer des outils agricoles et des process industriels low tech.

Les grandes et moyennes surfaces des périphéries urbaines pâtissent d’un prix de l’essence en hausse, qui les rend moins compétitives face aux commerces de proximité. L’État en profite pour démanteler le cartel de la grande distribution et subventionner généreusement les nouveaux supermarchés coopératifs, propriété des fournisseurs et des usagers. Des marchés d’intérêt local, grossistes alimentaires dont le rayon d’action se limite au département, se multiplient pour mutualiser et optimiser la logistique alimentaire. L’augmentation du nombre d’actifs dans la production et la transformation agricoles dynamise l’économie rurale. Les services de proximité se densifient ; des écoles, des cafés et des commerces de centre-bourgs réouvrent, tandis que d’ambitieux plans régionaux « train-vélo » se déploient pour assurer la circulation des biens et des personnes malgré un coût du transport routier lourdement affecté par la nouvelle fiscalité carbone.

En 2025, la France est alors bien mieux préparée que les pays voisins pour encaisser le choc pétrolier. Le cours du CAC 40 s’effondre, Air France et deux majors du BTP déposent le bilan, tandis que Total est nationalisée pour garantir l’approvisionnement des secteurs économiques essentiels : agriculture, transport de denrées alimentaires, soin et éducation. L’entreprise devenue publique met en place un programme « bioénergie » destiné à produire et à convertir d’importantes quantités de biomasse agricole non alimentaire en biogaz ou en biocarburants. La frange la plus décroissante de la coalition politique au pouvoir dénonce un projet archaïque et obtient la mise en place d’un fonds d’investissement pour développer la traction animale.

Une grande partie de la jeunesse rejette désormais le modèle fondé sur un emploi salarié, un loyer ponctionnant la moitié du salaire, et juste ce qu’il faut de temps libre pour suivre des séries Netflix et se soûler deux fois par semaine. L’imaginaire d’une vie sobre et conviviale, en collectivité dans des hameaux légers, exerce un fort pouvoir d’attraction, si bien que des départements pionniers de l’accueil de néoruraux, comme la Drôme et la Dordogne, tentent de contrôler l’immigration intérieure pour limiter la pression foncière. Celle-ci est d’autant plus sensible que les nouvelles constructions sont strictement encadrées par la loi « Zéro Artificialisation Brute ». Les bourgs et les petites villes se densifient, et les Habitats Écologiques Réversibles prospèrent à proximité des zones cultivées. Les offices fonciers veillent à une juste répartition du droit d’usage des terres agricoles.

Le déclin des gisements de pétrole conventionnel s’accélère et plonge les pays exportateurs dans le chaos. L’effondrement des États algérien et nigérian au cours des années 2025 et 2026 déstabilise lourdement le continent africain et provoque une vague de réfugiés sans précédent. Plusieurs centaines de milliers d’entre eux sont accueillis et intégrés comme force de travail dans les champs, les coopératives agroalimentaires de proximité, les réseaux de fret à vélo… La politique de quotas dégressifs et de prix garantis, lancée trois ans plus tôt pour accompagner la décroissance des filières de production animale, est une réussite. Elle permet à la France de continuer à exporter des céréales vers les régions les plus durement touchées par le changement climatique et les conflits, et ce malgré une diminution moyenne de 30 % des rendements.

Entre 2020 et 2030, les flux agricoles depuis et vers l’Europe ont chuté de 50 %. La plupart des échanges concernent des régions géographiques proches, ayant noué des partenariats pour pallier les fluctuations importantes des rendements et fournir les pays les plus dépendants en denrées de base. Ces accords spécifient les conditions de production des matières agricoles concernées pour empêcher le dumping environnemental. Des circuits de recyclage des urines et matières fécales sont mis en place entre régions de consommation et de production pour garantir le renouvellement à long terme de la fertilité des sols. Dans les villes, le vélo a supplanté la voiture pour les achats alimentaires.

En 2028, 8 % de la population active travaille à temps plein dans l’agriculture, auxquels s’ajoutent 10 % de travailleurs bénéficiant de la « garantie emploi vert », qui instaure le droit à un emploi pour chaque citoyen dans le secteur de la reconstruction écologique. L’offre de produits alimentaires, majoritairement brute et de saison, a largement perdu en diversité, mais a gagné en qualité nutritionnelle. La viande est redevenue un met festif réservé aux grandes occasions, et on passe plus de temps à cuisiner. Malgré le respect probable de l’Accord de Paris, l’inertie climatique condamne un certain nombre de cultures. Un grand plan agricole et forestier prépare l’adaptation des territoires à la nouvelle donne écologique et climatique.

5 commentaires sur “Scénario 2 : Atterrissage contrôlé”

  1. Il est très joli ce scénario, j’adore !
    La coalition de gauche qui aurait gagné les élections de 2022 n’aurait elle pas fait rapidement voter la loi de soutien à la création des communs?
    Mais si, cette loi qui finance les projets de communs créatifs évalués par les conventions citoyennes locales tirées au sort!
    ?
    Merci pour votre travail !
    ✊✊✊

    1. Il me semble en effet que cette loi avait été rapidement adoptée une fois votée la loi d’abolition de la propriété privée lucrative ! Quelle époque…

  2. Celui-ci est déjà beaucoup plus inspirant. Merci. J’avoue avoir éclaté de rire à l’idée du recel de Nutella à Marseille. Le début du récit n’est peut être pas si loin de notre réalité actuelle avec la mise en place de la primaire populaire.

  3. « Les syndicats, les militants de gauche, les Gilets Jaunes et le mouvement écologiste forment un front social massif, uni et cohérent. » => Quelle imagination ! Tout droit sorti d’un rêve.

  4. Je lis : « Les biens alimentaires répondant à des critères de qualité nutritionnelle, d’agroécologie et de juste rémunération des producteurs font l’objet d’un conventionnement pour être pris en charge par les caisses alimentaires, et tous les acteurs de la chaîne se prémunissent ainsi de la concurrence déloyale provoquée par la guerre des prix ». En d’autres termes, les biens de qualité produits par les agriculteurs et maraîchers sont réquisitionnés pour les besoins de la « chaîne » de sécurité sociale alimentaire ? En d’autres termes, le remède est bien, bien pire que le mal… En même temps quand on nous donne comme alternatives « la fuite en avant » ou « l’interventionnisme » on se doute bien qu’aucun scénario n’envisage la réappropriation de la société par les citoyens, mais deux sortes d’asservissements différents.
    Pour ma part, j’irai chercher l’inspiration pour demain sur un autre site (ou dans la tête et le coeur des enfants et de quelques colibris).

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