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billet d'humeur

En mai, fais la révolution qu'il te plaît !

humeur de mai 2021

AVERTISSEMENT : suite à une saturation sensorielle généralisée, le terme « résilience » sera remplacé par « ductilité » tout au long de ce billet. Est ductile ce qui se laisse étirer, battre, travailler sans se rompre d’après le TLFi. On prédit à ce mot un bel avenir !
C’est connu, le printemps est une période propice aux protestations badines et autres insurrections folâtres. Des grands classiques – la Commune, Mai 68, Nuit Debout – aux bons vieux putschs républicains.
 
Fort bien, mais quel lien avec notre choucroute favorite ? La ductilité alimentaire serait-elle à l’ordre du jour de ces agitations populaires ? Figurez-vous qu’il serait bien possible que oui ! Direction Delhi.
« Pourquoi est-ce qu’on ne parle pas de ça ? »
C’est une très bonne question Mme Rihanna, nous vous remercions de l’avoir posée.

Qu’ils mangent de la brioche !

Voilà déjà quelques mois que les paysans indiens se montrent un peu ronchons avec le gouvernement. Actuellement, de grands marchés agricoles régionaux, les « mandis », organisent la commercialisation de la production dans la plupart des États indiens. Ils permettent aux agriculteurs de bénéficier de certains services (conseil, achat d’intrants, crédit) et garantissent aux 650 millions de paysans indiens – dont neuf sur dix cultivent moins de deux hectares – de pouvoir vivre de leur métier, via notamment la fixation de prix de soutien minimaux. Pour accéder aux mandis, les négociants doivent s’acquitter d’une licence auprès de l’État, ce qui permet – avec des taxes sur les échanges – de financer le système. Autant dire que ça ne colle pas super avec l’idéologie libérale du gouvernement Modi. Le projet de réforme prévoit donc la possibilité, pour les acteurs de l’agroindustrie, d’acheter en dehors des mandis et de s’affranchir ainsi de toute régulation des prix.

Pro tip pour booster la ductilité alimentaire de votre territoire : affamez la paysannerie, elle vous le rendra !
Crédits : Wikimedia Commons.

Même si les mandis connaissent des dysfonctionnements, les paysans indiens n’ont pas été transportés de joie à la perspective de troquer ce système contre la bienveillance et l’équité du marché libre et non faussé. Drôle d’idée ! On imagine pourtant bien avec quelle facilité chaque petit cultivateur pourrait avantageusement négocier ses prix avec les cadors de l’agrobusiness indien ou les Big Four du commerce international.

La plus grosse manif de tous les temps

Résultat : des centaines de milliers de paysans se sont mis en tête d’assiéger la capitale pour obtenir le retrait du projet de réforme. Les journées de grève générale et de manifestation de soutien ont rassemblé dans les 250 millions de personnes, ce qui en fait probablement le mouvement social le plus massif de toute l’histoire de l’humanité.

Aux portes de Delhi, sur plusieurs kilomètres de long, naissance de la province autonome du Zadistan.
Crédits : Wikimedia Commons.

Forcément, tous les sikho-gauchistes du pays et d’ailleurs se mettent à rêver à un renversement du gouvernement nationaliste. Sur fond de crise sanitaire hors de contrôle, les dernières élections régionales montrent qu’un tel scénario n’est pas complètement farfelu…

J’suis PAContente !

En France aussi la colère gronde dans les champs. Mais comme il y a aujourd’hui plus de tracteurs que d’agriculteurs, le rendu est un peu différent.

Manifestation le 30 avril dernier à Strasbourg. D’après les forces de l’ordre, le cortège de tête aurait été infiltré par de nombreux détracteurs.
Crédits : © Radio France – Julien Penot.

En cause, la réforme en cours de la PAC. À peu près tous les agriculteurs s’accordent à ne pas être d’accord, mais avec une riche palette d’arguments. Côté gros tracteurs, on redoute un verdissement idéologique et punitif. Côté moissonneurs trotskistes, on dénonce une réforme du statu quo, servant les intérêts du Grand Capital devant ceux des paysans. Des associations d’extrémistes écolos se mettent à faire des communiqués communs avec le lobby des viandards pour envoyer le néolibéralisme à l’abattoir. Des agriculteurs un peu critiques frôlent l’agribashing… Mais où va-t-on ? Heureusement tout ce petit monde est sous bonne surveillance.

Nous dénions toute responsabilité dans ce jeu de mots.
Crédits : © Confédération Paysanne.

Quelle sera l’issue des négociations européennes et nationales ? La nouvelle PAC va-t-elle redéfinir pour de bon les règles du jeu au sein du système alimentaire ? Les coûts sanitaires, sociaux et environnementaux de notre alimentation seront-ils pris en compte dans la fixation des prix et des subventions ? Les quatre centrales d’achat de la grande distribution vont-elles trembler face au pouvoir retrouvé des agriculteurs ? Une plate-forme portant la voix de plus de quarante organisations citoyennes, paysannes, environnementales et de solidarité internationale va-t-elle faire plier les plantureux trusts agroindustriels ?

Hardis camarades ! L’heure d’une révolution alimentaire ductile à souhait a sonné !